La création d’un fonds thématique « Tocqueville Biodiversity ISR », La Banque Postale Asset Management
Publié le 07/02/2023 10:50
Sophie Baumeyer (S.B) : Au sein de La Banque Postale AM vous avez conçu un fonds sur la thématique de la biodiversité, pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
Guillaume Lasserre (G.L) : Il y a deux raisons principales. La première, et qu’il ne faut pas sous-estimer, est liée aux nouvelles réglementations. Un accent a été mis en France avec la dernière « Loi énergie-climat » et notamment son article 291 sur le thème de la biodiversité. La seconde tient à notre expérience et notre savoir-faire sur les problématiques environnementales. Il était cohérent de lancer un fonds actions sur la biodiversité, soutenu par nos capacités d’analyse extra-financière.
Les sujets de biodiversité sont d’une grande complexité. Il fallait donc, pour les financiers que nous sommes, une grille de lecture qui puisse mettre en perspectives cette complexité scientifique, avec notre regard de gérant d’actifs. Nous partons des conclusions de l’IPBES, l’équivalent du GIEC sur la biodiversité, afin de comprendre les enjeux scientifiques et faire le lien avec les activités économiques. In fine, l’investissement constitue un levier contribuant à réduire l’impact négatif de ces activités sur les écosystèmes naturels.
S.B : Quelle est la méthodologie utilisée pour évaluer les pressions exercées sur la biodiversité ?
G.L : Le terme de « pression » sur la biodiversité est entendu comme destructrice de biodiversité. Aussi, la première étape consiste à atténuer ces pressions qui sont identifiées par le corps scientifique. La question de la restauration des écosystèmes arrive dans un second temps.
La réglementation n’est pas encore fixée, bien que l’un des six piliers de la taxonomie environnementale concerne la biodiversité. Nous espérons obtenir des précisions dans les trimestres à venir. Dans l’attente de ces clarifications, nous avons construit notre propre modèle d’analyse afin de mesurer les pressions exercées par les secteurs d’activité. Pour cela, nous utilisons une base de données hébergée par une instance de l’ONU : ENCORE.
S.B : Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?
G.L : Un exemple concret concerne les pollutions. Prenons la pollution plastique : comment fait-on le lien entre avec les microplastiques, leur pression sur la biodiversité et les secteurs d’activité impliqués ? Notre méthodologie consiste dans un premier temps, à identifier les entreprises qui utilisent par exemple beaucoup d’emballage dans le cadre de leur activité. Typiquement les grands distributeurs et les entreprises du secteur agroalimentaire.
Dans un second temps, il s’agit de mesurer l’intensité et la gravité de la pression exercée. Restituer ce niveau de pression n’est pas si facile, les indicateurs de mesure en la matière étant relativement récents. Nous avons fait le choix chez LBP AM d’utiliser la mesure dite « MSA kilomètre carré » (« MSA » pour « mesure de l’abondance moyenne des espèces »), qui semble s’imposer aujourd’hui.
S.B : Vous utilisez le Global Biodiversité Score (« GBS »). Pouvez-vous nous en parler brièvement ?
G.L : C’est un outil qui nous permet d’obtenir l’empreinte biodiversité (MSA kilomètre carré), utile pour évaluer la pression exercée par une entreprise sur les écosystèmes. Les fondements théoriques de cet outil ont été développés par CDC Biodiversité et il est fourni par Carbone4 Finance. S’il est très important d’obtenir les ordres de grandeur, quelques complexités persistent. Il est encore difficile d’avoir une mesure agrégeant tous les enjeux de biodiversité. A titre d’exemple, il est difficile de faire coïncider les impacts sur les milieux aquatiques et les impacts sur le milieu terrestre.
Enfin, il faut prendre en compte les spécificités du thème. A la différence de l’empreinte carbone dont l’impact est plus large (une molécule de carbone dans l’atmosphère à impact diffus et global), la destruction de biodiversité a une dimension le plus souvent locale. Il faut aussi considérer l’effet d’accumulation : mesurer l’empreinte en additionnant le stock de biodiversité détruit dans le passé à celui qui le sera dans l’année à venir. Une meilleure connaissance de tous ces aspects aide les investisseurs à orienter leurs capitaux plus efficacement.
S.B : Comment assurez-vous le suivi des engagements pris par les entreprises dans lesquelles vous décidez d’investir ?
G.L : Aujourd’hui, notre stratégie repose sur trois facteurs de sélection :
– identifier des entreprises qui développent des solutions permettant d’avoir une pression moins forte sur la biodiversité ;
– sélectionner des entreprises dont le business model se concentre sur la thématique de la biodiversité ;
– ne pas exclure des entreprises qui ont potentiellement des problèmes avec la biodiversité mais qui, en leur sein, ont aussi développé des solutions.
Concernant le dernier choix, prenons un exemple : un géant de l’agroalimentaire qui rencontre des problèmes liés aux emballages plastiques. C’est un problème structurel, mais parce que l’entreprise est également dans le secteur agricole, cette dernière développe des techniques d’agriculture régénératives. C’est donc cette capacité à développer des solutions qui va retenir notre attention dans l’analyse. On retrouve ici l’idée de transition, bien connue lorsqu’on parle du climat. Nous disposons de trois moyens d’action majeurs en tant qu’investisseurs : l’exclusion, la sélection et l’engagement actionnarial. Ce dernier joue un rôle très important pour les sociétés en transition.
S.B : Vous êtes une des sociétés de gestion les plus en avance sur ce sujet. Pourquoi ?
G.L : Il y a un coût d’entrée élevé aujourd’hui, qui implique une capacité d’allouer des ressources avec un temps humain important. Adresser le thème de la biodiversité dont les données disponibles sont encore parcellaires ou rares, nécessite du temps, des capacités de collecte et de traitement d’informations. A ce titre, l’utilisation de technologies éprouvées en matière de lecture automatique, facilite le traitement des données issues de multiples sources informationnelles et univers sémantiques, associés à la biodiversité.
S.B : La prochaine étape ?
G.L ; La prochaine étape importante consiste à identifier les futures données pertinentes. La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui impose aux entreprises de reporter un grand nombre de données extra-financières sera d’une grande aide.
Sophie Baumeyer, Investance Partners
Associée au sein du cabinet Investance Partners, Sophie Baumeyer est en charge du développement des offres d’accompagnement sur la gestion d’actifs. Elle dispose d’une excellente vision des processus et des systèmes d’information et accompagne depuis plus de 20 ans les sociétés de gestion dans leur transformation opérationnelle et IT.